lundi 9 novembre 2015

Quand Atatürk avouait qu'il était juif alors qu'il était saoul

Y-aurait-il une plus grande preuve sur la crypto-judéité d'Atatürk que celle donnée par un journaliste juif travaillant pour un journal juif? Sans doute non. Pourtant, cette preuve est très peu connue du grand public malgré des affirmations édifiantes basées sur un récit autobiographique d'un autre journaliste juif qui a lui même rencontré Mustafa Kemal. Ces affirmations ont été publiées dans les colonnes du journal New-Yorkais The Forward par Hillel Halkin le 28 Janvier 1994. Dans cet article, Halkin reprend un extrait de l'autobiographie de Itamar Ben-Avi qui raconte comment il a rencontré un officier turc (qui deviendra plus tard Atatürk) dans le bar d'un hôtel à Jérusalem lors de la première guerre mondiale. Lors de deux échanges qu'ils auront autour de plusieurs verres d'alcool, Mustafa Kemal va alors lui révéler ses véritables et mystérieuses origines.

Les lignes qui suivent reprennent entièrement l'article de Hillel Halkin traduit (du mieux que possible) en français.

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L'article du Forward écrit par Hillel Halkin
Il y avait deux questions que je voulais poser. Je l'ai dit au téléphone pour Batya Keinan, porte-parole du président israélien Ezer Weizman, qui était sur le point de partir le lendemain, le lundi 24 janvier, pour la première visite jamais faite en Turquie par un chef de l'Etat juif. La première était de savoir si Mr Weizman participerait à une cérémonie officielle commémorant Kemal Atatürk. Mme Keinan a vérifié et confirmé l'itinéraire du président, selon lequel lui et sa femme voudraient déposer une gerbe sur la tombe d'Atatürk le matin de leur arrivée, et a demandé ce qu’était ma seconde question. « Est-ce que le président Weizman sait que Ataturk avait des ancêtres juifs et a appris des prières hébraïques dans son jeune âge? ». « Bien sûr, bien sûr » répondit-elle naturellement comme si je lui avais demandé si le président était conscient que Ataturk était le héros national de la Turquie. Je la remercia et raccrocha. Quelques minutes plus tard, il me vint à rappeler une nouvelle fois et de demander si le président Weizman projetait de faire référence en Turquie concernant les antécédents juifs d'Ataturk. « Je suis tellement heureuse que vous ayez appelé à nouveau », a déclaré Mme Keinan, qui maintenant semblait choquée et un peu en difficulté. « Où avez-vous exactement obtenu votre information? » Pourquoi le demandait-elle, lui ai-je répondu, si le bureau du président l’avait aussi? Parce que le bureau ne l’a pas, a-t-elle avoué. Elle avait seulement supposé qu'il devait l’avoir parce que je l'avais moi-même entendu en fait. « Après avoir raccroché », dit-elle, « j’ai raconté ce que vous m’avez dit et personne ici ne sait rien à ce sujet. Pourriez-vous s'il vous plaît nous faxer ce que vous savez? » Je lui ai faxé une version courte de la chose. En voici un plus complet.

Des histoires sur la judéité d’Ataturk, dont la statue se dresse sur la place principale de chaque village et ville de Turquie, ont déjà été diffusées de son vivant mais elles ont été démenties par lui et sa famille et elles n'ont jamais été prises au sérieux par les biographes. Sur les six biographies de lui que j’ai consultés cette semaine, aucune ne mentionne une telle spéculation. La seule référence scientifique sur lui dans la presse que je pouvais trouver était dans les premières lignes sur Ataturk dans le Israeli Entsiklopedya ha-Ivrit, qui commence ainsi: « Mustafa Kemal Atatürk (1881-1938), général et homme d'État turc et fondateur de l'Etat turc moderne ». Mustafa Kemal est né au sein de la famille d'un employé des douanes à Salonique et a perdu son père quand il était jeune. Il n'y a aucune preuve de la croyance, largement répandue chez les juifs et les musulmans en Turquie, que sa famille venait des Dönmehs. Dans son jeune âge, il se rebella contre la volonté de sa mère qui voulait lui donner une éducation religieuse traditionnelle, et à l'âge de 12 ans, il a été envoyé à sa demande pour étudier dans une école militaire.

Le faux messie Sabbataï Zevi
Les Dönmehs formaient une secte souterraine de sabbatéens, des juifs turcs qui ont pris des noms musulmans et qui à l'extérieur se comportaient comme des musulmans mais qui secrètement croyaient en Sabbetai Zevi, le faux messie du 17eme siècle, et qui réalisaient en prenant soin de les garder secrets des prières et des rituels en son nom. La version de l'encyclopédie sur l'éducation de Ataturk est cependant un peu en contradiction avec elle-même. Voici un récit qui est cité par ces biographes: « Mon père était un homme de visions libérales, plutôt hostiles à la religion, et un partisan des idées occidentales. Il aurait préféré me voir aller dans une école laïque, qui ne puise pas son enseignement dans le Coran, mais dans la science moderne. Dans cette bataille des consciences, mon père a réussi à remporter la victoire après une petite manœuvre; il feignit de céder aux souhaits de ma mère, et convenu que je devrais entrer dans l'école [islamique] de Fatma Molla Kadin avec la cérémonie traditionnelle... Six mois plus tard, plus ou moins, mon père m'a tranquillement retiré de l'école et m'a emmené à celle de l'ancien Shemsi Effendi qui dirigeait une école préparatoire gratuite selon les méthodes européennes. Ma mère ne fit aucune objection, car ses désirs avaient été respectées et ses conventions respecté. C’était la cérémonie au delà de tout qui l'avait satisfaite ».

Ali Riza
Qui était le père de Mustafa Kemal, qui se comportait ici tel un Dönmeh typique, observant de l’extérieur des cérémonies musulmanes tout en se moquant d’elles de l’intérieur? La mère d’Ataturk, Zubeyde est venue des montagnes à l'ouest de Salonique, près de la frontière albanaise actuelle; concernant les origines de son père, Ali Riza, on en sait peu. Différents auteurs lui ont donné des origines albanaises, d'Anatolie et de Salonique, et Lord Kinross en 1964 dans son livre « Ataturk » qualifiait Ali Riza comme une « personnalité sombre » et ajoute énigmatiquement en ce qui concerne la réticence d’Ataturk à communiquer davantage sur ses antécédents familiaux : « Pour un enfant issu d’un environnement aussi mixte qui se produira rarement, où ses loyautés raciales sont étalées, en savoir trop précisément sur ses origines personnelles au-delà de celle de sa filiation ».

Kinross en soupçonnait-il plus qu'il en affirmait? Je n’aurais jamais posé une question telle si je n’avais pas récemment lu un chapitre remarquable lors de l’exploration de l'autobiographie en hébreu épuisé d'Itamar Ben-Avi, fils de Eliezer Ben-Yehuda, le principal promoteur de la renaissance de l'hébreu parlé à la fin de 19ème siècle en Palestine. Ben-Avi, le premier enfant à être élevé en hébreu depuis les temps anciens et plus tard un journaliste hébreu et éditeur d’un journal, raconte dans ce livre sa promenade dans l'Hôtel Kamenitz à Jérusalem une nuit d'automne en 1911 et avoir été interpelé par son propriétaire :
- Voyez-vous cet officier turc assis là dans le coin, celui avec la bouteille d'arak?
- Oui.
- Il est l'un des officiers les plus importants dans l'armée turque.
- Quel est son nom?
- Mustafa Kemal.
- Je tiens à le rencontrer, lui dis-je, parce qu’à la minute où je l'ai regardé, je fut surpris par ses yeux verts perçants.
Ben-Avi décrit deux entretiens avec Mustafa Kemal, qui n'avait pas encore pris le nom d'Atatürk, « Père des Turcs ». Les deux ont été réalisés en français, ils ont été largement consacré à la politique ottomane, et ont été arrosés avec de beaucoup d’arak. Dans le premier de ceux-ci, Kemal a confié :
- Je suis un descendant de Sabbetai Zevi - pas plus un Juif en conséquence, mais un fervent admirateur de ce prophète qui est le votre. Mon opinion est que chaque Juif dans ce pays ferait bien de rejoindre son camp.
Au cours de leur deuxième entretien, tenue 10 jours plus tard dans le même hôtel, Mustafa Kemal dit à un moment :
- J’ai à la maison une Bible hébraïque imprimée à Venise. Elle est assez vieille, et je me souviens que mon père m’a emmené à un enseignant Karaïte qui m'a appris à la lire. Je me souviens encore quelques mots, comme…
Et Ben-Avi continue : « Il se tut un instant, ses yeux à la recherche de quelque chose dans l'espace. Puis il s’est repris :
- Shema Yisrael, Adonaï Elohenu, Adonaï Ehad !
- C’est notre prière la plus importante capitaine.
- Et ma prière secrète aussi, cher monsieur, répondit-il, tout en remplissant nos verres. 
»
Bien que Itamar BenAvi ne pouvait pas le savoir, Ataturk a sans doute assez littéralement récité « la prière secrète ». Parmi les prières ésotériques du Dönmeh, la première à être connue dans le monde scientifique quand un des livres concernés est entrée dans la Bibliothèque nationale à Jérusalem en 1935, est celle contenant la confession de foi: « Sabbetai Zevi et personne d'autre est le vrai Messie. Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est unique. » C’était sans aucun doute de ce crédo, plutôt que de la Bible, que Ataturk s’est rappelé des mots du Shema, qui, au meilleur de mes souvenirs, a avoué le savoir mais une fois dans sa vie d'adulte : à un jeune journaliste hébreu avec qui il a été engagé dans deux conversations animées avec de l’alcool à Jérusalem près d'une décennie avant qu'il ait pris le contrôle de l'armée turque après sa défaite désastreuse dans la Première Guerre mondiale, a battu les Grecs lors de leurs invasion et fondé une république turque laïque dans laquelle l'Islam a été banni - une fois pour toutes, ce qu'il croyait - dans les mosquées.

Ataturk avait eu de bonnes raisons de dissimuler ses origines Dönmehs. Non seulement les Dönmehs (qui se mariaient seulement entre eux et au nombre de près de 15.000, largement concentrée dans Salonique à la veille de la Première Guerre mondiale) étaient méprisés comme des hérétiques par les musulmans et les juifs, mais ils avaient aussi la réputation d’avoir un goût pour les débauches sexuelles ce qui aurait difficilement pu être flatteur pour leur progéniture. Cette déclaration, qui était théologiquement justifiée par l'affirmation qui reflétait la liberté des fidèles sur les commandements bibliques en vertu de la nouvelle dispensation de Sabbetai Zevi, est décrit par le prédécesseur de Ezer Weizman, second président d'Israël, Yitzhak Ben-Zvi, dans son livre sur les communautés juives perdues, « The Exiled and the Redeemed » : 
'Sainte Progéniture' Une fois par an [au cours de l’annuel « Sheep Holliday » des dönmehs] les bougies sont allumées au cours d'un dîner qui est accompagné par des orgies et d’une cérémonie de l'échange des épouses. ... Le rite est pratiqué dans la nuit traditionnelle de l’anniversaire de Sabbetai Zevi. ... On croit que les enfants nés de ces unions sont considérés comme des saints.
Bien que Ben-Zvi, qui écrivait dans les années 1950, pensait que « il y a des raisons de croire que cette cérémonie n'a pas été entièrement abandonnée et continue à ce jour », il y a peu de pistes pour savoir si l'une des pratiques traditionnelles du Dönmeh ou les structures sociales survivent encore dans la Turquie moderne. La communauté a abandonné Salonique avec d'autres turcs de la ville pendant la guerre gréco-turque de 1920-21, et ses descendants, dont beaucoup seraient de riches hommes d'affaires et commerçants à Istanbul, sont généralement connus pour avoir été totalement assimilés dans la société turque.

Après avoir envoyé mon fax à Batya Keinan, j’ai téléphoné pour vérifier si elle l’avait reçu. Elle l’avait en effet, dit-elle, et qu’elle aimerait le voir de façon à ce que le président puisse le lire lors de son vol à destination d’Ankara. Il est peu probable, cependant, que Mr Weizman en fera allusion lors de sa visite : Le gouvernement turc, qui pendant des années a évité les assauts des fondamentalistes musulmans sur sa légitimité et sur les réformes laïques d'Atatürk, a peu de chances de bien accueillir les nouvelles comme quoi le père du « Père des Turcs » était un crypto-juif qui a transmis ses sentiments antimusulmans à son fils.

Le secret de Mustafa Kemal est sans aucun doute celui qui préférerait à continuer à être maintenu.

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